"Se reconnecter à soi", à son âme, à sa nature profonde, à son enfant intérieur…
Toutes ces formules de plus en plus entendues et lues deviennent familières, nous parlent, nous interpellent (parfois nous agacent). Mais quel que soit le degré de résonance avec lequel nous accueillons ces mots, il semble bien qu'une distance s'installe ou se soit installée entre nous et… le reste.
Comment se peut-il qu'en ces temps hypra connectés, multi communautés, pluri tribales, nous ressentions autant de solitude. Car c'est sans doute de cela qu'il s'agit, malgré son "appartenance" à différents groupes d'humains, l'Homme moderne souffre de se sentir si seul et si perdu.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
L'Humain est un être extra ! Nous appréhendons le monde à travers nos sens et interagissons avec lui grâce au mental qui gère les actions. Ainsi depuis notre naissance, nous sommes voués à l'expérience de la Vie et ce n'est pas rien… Mais là où nos expériences n'étaient que joie, jeu et découvertes en enfance, ça se complique en grandissant. Les jeunes êtres que nous étions suivaient inéluctablement leurs besoins et envies. Ils s'autorisaient à rêver et à croire que tout cela pouvait devenir réel. Les plus hardis ont même commencé très tôt à poser des actes allant dans le sens de ces rêves.
Puis il y eut les premières déconvenues : "Mais non voyons mon chéri, elle ne peut pas s'envoler ta fusée, elle est en carton !" Et ainsi de déconvenue en déconvenue, les contingences familiales et sociales modifient notre capacité innée à obéir à ce que nous sommes. Nous pouvons ainsi aisément nous écarter de ce à quoi nous aspirons ou ce pourquoi nous sommes faits. Peut être n'avons nous même jamais eu l'opportunité de l'entrevoir ou le ressentir.
Avons-nous un destin ?
Je ne saurais répondre à cela avec certitude… mais ce que j'apprends ces temps-ci de la philosophie indienne me parle profondément.
Il y est question de l'ordre naturel des choses, le Dharma (loi naturelle). C'est ce qui fait que la Terre tourne, que les cycles s'enchainent, que la pomme tombe de l'arbre et que l'eau coule de haut en bas.
A notre échelle d'humain, il s'agit de svadharma (sva : propre, dharma : loi naturelle), l'ordre des choses à une échelle incarnée. C'est à notre svadharma de parents que nous obéissons lorsque nous prenons soin de nos enfants, une loi d'action qui est proche du devoir.
Un autre niveau existe qui se nomme svabhâva (sva : propre, bhâva : essence d'existence), ce serait comme notre intention primordiale de vie. Elle précède le svadharma comme l'impulsion précède l'action.
« Dans la nature, chacun de nous a un principe et une volonté de son propre devenir ; chaque âme est une force de conscience de soi qui formule en soi une idée du Divin et par là dirige son action et son évolution, sa progressive découverte de soi, son expression de soi variée et pourtant constante, sa croissance, incertaine en apparence, mais secrètement inéluctable, jusqu’en la plénitude. C’est notre svabhâva, notre propre nature réelle ; c’est notre vérité d’être qui présentement ne trouve qu’une expression partielle constante en notre devenir divers dans le monde. La loi d’action déterminée par ce svabhâva est notre svadharma, la juste loi selon laquelle nous nous formons nous-même, selon laquelle nous fonctionnons, nous travaillons. »
Shri Aurobindo, Commentaires sur la Bhagavad-Gîtâ, Albin Michel, 1991, « Chapitre XVIII »
Et concrètement ?
Nous sommes des êtres en devenir, voués à incarner d'une façon ou d'une autre ce que nous sommes censés être.
Admettons cette analogie printanière : je suis un bulbe de tulipe.
- Je peux vouloir être un mimosa mais je vais dépenser beaucoup d'énergie avant de comprendre que ce ne sera jamais possible.
- Imaginons que je crois à ressembler à une rose : je me persuade fermement que je suis une rose épanouie. Mais à plus ou moins long terme, une sensation d'incomplétude me gagnera.
- J'ai conscience de ma nature véritable (bulbe de tulipe) et je deviens tulipe.
Dans ce dernier cas de figure, j'obéis à mon svadharma en ornant le jardin. L'énergie de mon svabhâva porte ma croissance épanouie et, en parfait accord avec le Dharma, je pousse, fleuris et fane.
Comment faire ?
Si vous lisiez assidument jusqu'ici dans l'espoir d'y trouver LA recette miracle pour vous reconnecter à votre nature, je crains de vous décevoir… Incarner ce que nous sommes est le travail d'une vie, une vie engagée.
Mais on peut toutefois débroussailler un peu le chemin pour s'éviter des écorchures.
Ainsi, le sentiment d'être déconnecté, l'incomplétude, la sensation de ne pas être à sa place, peuvent émaner de votre essence qui (ré) clame l'envie de s'incarner. Comment ne pas confondre cet appel avec une éventuelle saute d'humeur de notre personnalité versatile ? En tendant l'oreille et le cœur.
- INACTION. S'accorder du temps de rien, sans actions ni battements d'ailes. Sentir le vent sans le brasser, contempler et cesser de faire beaucoup pour pouvoir être un peu. 5mn / 3x par jour
- SILENCE. Baisser/Couper tous les volumes : la radio dans la voiture, la TV qui ne regarde personne, la musique qui habite l'espace. Réinviter le silence quotidiennement pour s'y glisser comme dans un bain chaud ou un lit douillet. 5mn / 3x par jour
- ATTENTION. Développer sur des petites choses une attention de nouveau-né. Sans penser à rien d'autre que l'objet d'observation. D'une simple fourchette à notre merveilleuse respiration, tout est propice à recevoir notre attention toute neuve. 5mn / 3x par jour
- DÉTACHEMENT. Ne pas focaliser son esprit sur un but à atteindre et prendre de la distance avec ce qui nous anime (si c'est difficile, faire semblant au début et cela finit par se modifier). à faire dès qu'on y pense
BONNE NOUVELLE ! Les points 2. et 3. peuvent être réalisés au même moment.
Et ainsi en 10 à 15mn par jour, l'air de rien, vous (ré)apprenez à FAIRE DE LA PLACE en vous même pour que votre essence puisse refaire surface. Votre esprit devient plus clair et les choses se mélangent moins, vous pouvez faire le tri plus distinctement entre ce qui vous convient et ce qui ne vous convient pas (ou plus).
C'est à mon sens un bon départ pour nettoyer le terrain et laisser cette véritable nature, ce svabhâva, émerger et s'exprimer, avec patience et persévérance.
La Bhagavad-Gîtâ (Le chant du bienheureux) est une partie d'un poème épique indien appelé le Mahâbhârata. Il date de l'époque védique, entre le 5ème et le 2ème sc. av. JC.
Ce texte magnifique pose des questions philosophiques essentielles concernant la justesse de l'action, l'apaisement de l'esprit par la pratique des différents yogas, l'abandon et le lâcher prise…
Un article sera dédié à cette fascinante lecture lorsque je l'aurai suffisamment étudié… aux alentours de 2057 ! :-)
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